Les enjeux de l’intégration urbaine des espaces économiques

Les espaces économiques et à plus forte raison, les espaces industriels sont le plus souvent considérés comme des contraintes fortes pour les autres fonctions urbaines et la ville habitée en particulier.

De ce fait, l’urbanisme et l’aménagement n’ont eu de cesse que de les faire sortir des espaces et territoires urbains, parfois à juste titre (nuisances importantes, taille des objets peu compatibles ; conflits d’usage potentiels importants, etc.), parfois de façon trop systématique.

Ces équipements, parmi les plus anciens, ont depuis été rattrapés par l’urbanisation. Aussi les ports, MIN, industries, hôpitaux, qui n’ont pas été délocalisés, se retrouvent souvent dans des situations de fragilité :

Cohabitation des fonctions difficiles, déqualification de certaines zones au profit de nouveaux espaces et de nouveaux bâtiments neufs, pression foncière au profit de fonctions  urbaines à forte valeur ajoutée (habitat, commerces…), etc…

Aujourd’hui, les problématiques environnementales et plus particulièrement la nécessité d’économiser les espaces naturels ou agricoles, mais également la pression sur les ressources en matériaux et la gestion des déchets liés  à l’économie de l’aménagement nous invitent à revisiter fortement ces espaces existants et à les réinvestir.

Quels sont les enjeux d’une intervention sur les espaces économiques existants aujourd’hui ? Ils sont à notre sens de plusieurs ordres :

  • des enjeux de compréhension et d’anticipation des modèles économiques et logistiques de demain, pour ne pas induire de choix d’aménagement préjudiciables à ces modèles, mais au contraire les redéployer de façon cohérente, tout en anticipant sur les effets induits (gaz à effet de serre issus des flux logistiques, performance du bâti…)
  • des enjeux de « réconciliation » quand c’est possible entre l’économie et la ville, mais aussi entre les infrastructures et la ville ; les espaces économiques sont aussi des espaces qui reposent sur une accessibilité renforcée et un lien exclusif à la voiture. Le fait que ces périphéries soient aujourd’hui rattrapées par l’urbanisation invite à travailler plus finement et à nuancer la mixité des espaces et aussi la mixité des modes de desserte de ces espaces.
  • des enjeux de « socialisation » des espaces économiques, qui manquent parfois de prise en considération des gens qui y « vivent » durant leur temps de travail : espaces fonctionnels avant tout, mais espaces de vie également, qui peuvent tout à fait être articulés pour être compatibles; de prise en considération des voisinages et des usages croisés potentiels qu’il s’agisse d’habitat ou d’autres espaces économiques.
  • des enjeux de « conversion » environnementale de l’économie, en particulier en révélant les potentialités des « services environnementaux » : en quoi les bâtiments, mais aussi les infrastructures peuvent être les supports de nouvelles valeurs d’usage, pour produire de l’énergie, pour en économiser, pour gérer les eaux d’une façon plus écologique et avec une économie intelligente de moyen, développer des démarches d’écologie industrielle où les déchets des uns sont les matières premières d’autres, pour tendre vers un métabolisme plus circulaire, etc.

Revisiter les grands équipements des années 70 pour leur redonner une seconde vie !

Le MIN de Bordeaux dans le quartier Saint-Jean Belcier

Reposant sur un modèle économique de massification des flux d’usagers, de marchandises et/ou de déchets, les équipements des années 60-70 se sont établi à l’extérieur ou en limites des villes. Ils ont accompagné l’édification des principales infrastructure routières du territoire suivant la politique d’équipement et d’industrialisation de la France de l’après-guerre.

Aujourd’hui ces équipements sont rattrapés par l’urbanisation qu’elle soit extensive ou qu’elle se densifie. Ports, MIN, industries, hôpitaux, se retrouvent ainsi dans des situations de cohabitation avec les espaces résidentiels notamment. La pression foncière qui s’est exercé depuis plusieurs décennies sur ces espaces a fait que nombre de ces équipements a déjà rejoint les périphéries des agglomérations pour reconduire des fonctions et des modèles économiques inchangés.

Néanmoins, les solutions qui s’appuient sur un maintien de ces fonctionnalités et de leur patrimoine sur site présentent beaucoup d’avantages :

Dans un contexte de pénurie de matériaux de construction, il est toujours intéressant de conserver ce « patrimoine utile » bâtiments ou aménagements (rampes, quais, VRD…).

La majorité de ces bâtiments a de plus bénéficié d’une conception initiale rationnelle, de qualités fonctionnelles, constructives et d’architecture toujours d’actualité  et qu’il est également possible d’adapter.

Leurs nouvelles situations soulèvent des enjeux d’acceptabilité sociale et environnementale, qu’il est aussi possible de travailler plus finement : optimisation des espaces, mutualisation des programmes avec les publics des quartiers adjacents, souplesse des aménagements, travail sur les limites….

Mais ces nouvelles situations sont aussi des situations urbaines inédites qui doivent permettre de revisiter les modèles économiques de ces fonctions urbaines. Quelle part de leur activité peut devenir plus endogène ? Quelles nouvelles activités et nouveaux services peuvent venir compléter l’offre locale vers habitants du quartier? Inversement, quelles aménités extérieures peuvent être mobilisées pour développer des espaces fonctionnels mais aussi ouverts ?

L’acceptabilité de ces équipements passera donc par une double métamorphose : évolution interne et développement vers l’extérieur.

L’omnicanal, une approche pour des croisements inédits en urbanisme

Marché aux chevaux au coeur de Dublin.

La rue, le quartier, l’agglomération, ou encore le « pays », sont autant de lieux qu’il est intéressant de délimiter le temps de regarder ce qu’il s’y passe en termes d’échanges, d’interactions ou inversement de ségrégations.

L’AFME (Analyse des flux de matière et d’énergie) est un très bon exemple d’analyse souvent macroéconomique (mais pas toujours), qui permet d’identifier des pistes de synergies éco-industrielles entre les acteurs économiques à l’échelle d’un système donné. Elle permet notamment d’identifier les opportunités de mutualisation ou de valorisation des flux en fonction de leurs caractéristiques (cf Orée).

Travailler à une échelle donnée et spatialiser est un moyen d’identifier des acteurs susceptibles de participer aux problématiques de leur voisin par simple effet de proximité physique. C’est une démarche complémentaire à celle plus « éruptive » des outils collaboratifs qui repose sur les proximités affinitaires. Elle permet de croiser des paramètres de natures différentes sociologiques, économiques et physiques et ainsi de construire des collaborations inédites.

Travailler sur un périmètre est aussi un moyen de rebattre les cartes, de sortir des filières identifiées et des silos, de choisir les croisements susceptibles de produire du sens : pour reprendre l’exemple de l’AFME, il peut être intéressant de confronter la dimension économique des flux de matériaux avec l’implantation des infrastructures sur le territoire, la localisation des stocks de bâtiments, la structure foncière générale et particulière ou encore la géographie de l’emploi et les points de fixation des acteurs de l’économie de la construction ou de l’environnement pour travailler un métabolisme qui soit réellement territorial et pertinent.

C’est enfin le moyen de faire émerger des « solutions omnicanal » pour reprendre des termes de logistique pour programmer les territoires, sur les volets économiques, environnementaux et sociaux, mais aussi pour revisiter la programmation urbaine courante et pour que les trois niveaux se complètent et se renforcent dans une approche métabolique.

Les fonctions économiques peuvent-elles se programmer et se développer autrement que par extension ou table rase ?

Port de Rochefort, hangar en bois toujours utilisé

Les entreprises ont su démontrer qu’elles savaient investir dans l’existant et y trouver toutes les aménités nécessaires au développement de leur activités. De même, certaines collectivités ont su construire une stratégie économique qui repose sur une part de réinvestissement des espaces urbains.

Cependant une part très importante des espaces économiques reste programmée en extension alors-même que l’on souhaite, parfois au sein d’une même collectivité remettre certains secteurs commerciaux ou d’activités dans une dynamique de revalorisation. Les difficultés qui ne manquent pas d’émerger pour l’ouverture de certaines zones sont aussi connues : sensibilité environnementale des espaces naturels qui va souvent de pair avec des difficultés techniques (construction en zones inondables, sols pressibles, …) et donc des couts importants.

Il semblerait que pour sortir de certaines impasses : difficultés à faire sortir les programmes dans l’existant, à les financer, à les mettre en œuvre, il faille replacer chaque projet dans un contexte plus global de mutation urbaine.

Vers l’amont tout d’abord en requestionnant la programmation et ses méthodes en préconisant notamment de porter une plus grande attention à l’existant. L’existant, c’est-à-dire :

  • Le cadre construit (bâtiments, infrastructures, équipements…) qu’il devient nécessaire de regarder comme une valeur culturelle d’abord, comme un objet ayant des qualités d’usage ensuite et, si l’on intègre la pression sur les ressources et notamment les matériaux de construction, les difficultés inhérentes à la gestion des déchets de chantiers, la nécessité de considérer ces tissus urbains comme des stocks de matériaux également.
  • Le tissu économique et social qu’il soit privé ou public, c’est-à-dire tout ce qui a trait à l’activité, aux équipements sociaux, environnementaux, les personnes et les savoir-faire qui sont derrière, les conditions de fonctionnement de ces activités.

Pour ne plus réinventer complètement les programmes des projets urbains, en les calant sur des visions trop abstraites (dans le sens transplantées), qui ont le plus souvent comme conséquence de figer les territoires et les acteurs le temps de rattraper les écarts entre le positionnement souhaité et l’existant.

Pour être à l’écoute de ce que peuvent offrir les territoires en s’appuyant sur leurs atouts qui ne viennent pas de nulle part, mais sont le résultat de caractéristiques vernaculaires (cadre géographique et socio-culturel), mais également d’un contexte de mutations sur le long cours.

Ce qui n’empêche pas de venir corriger certains handicaps de ce territoire pour en limiter les inégalités et éventuellement la déprise et implique de prendre parti fortement vers un nécessaire positionnement futur de ce territoire.

Déplacer le curseur vers l’aval également, en intégrant et en sollicitant davantage les opérateurs et les usagers dans les processus de transformation des territoires :

Premièrement, parce qu’ils en sont déjà partie-prenantes, et que l’inertie qu’il peut y avoir dans les transitions urbaines et environnementales procède surement fortement d’une déconnexion entre ces acteurs en bout de chaîne, des sphères où se définissent les programmes.

Parce que ce sont ces acteurs qui incarnent au final les programmes sur le terrain, et qu’il s’agit ici d’initier dialogue constructif entre ceux qui programment et ceux qui endossent la fonction pour un échange de problématiques et mais aussi de solutions.

Et enfin parce que les objectifs des uns et des autres doivent gagner en lisibilité pour ne meilleure efficacité et en transparence pour garantir l’intérêt collectif.